Le paysage financier et monétaire en Tunisie est en nette amélioration au niveau institutionnel afin de se mettre aux normes et standards internationaux. Plusieurs réformes sont réfléchies et parfois engagées, mais n’aboutissent malheureusement pas.
Après le crowdfunding dont la loi a été votée le 06 Aout 2020 et n’est pas entrée en vigueur qu’après publication des décret d’application en Octobre 2022, la mise en œuvre du décret loi sur les sociétés d’information sur le crédit promulgué en Janvier 2022, n’est pas encore d’actualité. Une réforme tant attendue, mais aucun investisseur n’est entré en scène jusqu’à présent. Le cadre règlementaire encore et toujours est la principale cause.
Le chainon manquant :
Les bureaux d’information sur le crédit sont principalement des entités qui ont pour activité de traiter les informations sur le crédit sur les personnes physiques et morales, en vue d’évaluer leurs capacités à honorer leurs engagements financiers. Ils établissent ainsi des rapports de solvabilité qu’ils fournissent aux institutions financières qui le demandent.
Les régulateurs qui ont opté pour ces sociétés ont compris l’importance de l’amélioration des systèmes d’information sur les crédits afin d’assainir la sphère financière et réduire les défaillances qui peuvent perturber le bon fonctionnement des marchés. Ces sociétés contribuent aussi à l’amélioration de l’inclusion financière, à la réduction de l’endettement excessif et à la récompense « des emprunteurs responsables ».
Les bureaux d’information sur les crédits sont apparues principalement depuis un siècle en Allemagne et aux Etats Unis. A partir des années 90, ils sont apparus en Europe. En Afrique, ils ont fait l’objet d’une recommandation par le Haut Comité Ad Hoc sur le financement des économies des Etats membres de l’UEMOA en mai 2012.
Selon un document de la Banque Mondiale datant de 2017, il existe actuellement dans le monde plus de 187 bureaux opérant dans 114 pays.
L’activité aux Etats Unis est très développée, et est encadrée par « The Fair Credit Reporting Act (FCRA) » publié en 1970, qui met les bases et les normes pour collecter les informations sur les clients des institutions financières. Aux Etats Unis opèrent principalement 3 grands bureaux de crédits à savoir Equifax, Experian et TransUnion. A eux trois emploient plus de 45.000 employés et sont présents dans plus de 30 pays.
Au Maroc la loi sur les bureaux d’information sur le crédit a été votée le 31 Janvier 2024. Cette loi établit les conditions d’exercice de l’activité des bureaux d’information sur le crédit en définissant les procédures d’octroi et de retrait d’accréditation, ainsi que les droits et obligations des bureaux d’information sur le crédit, des fournisseurs et des utilisateurs d’informations, y compris l’obtention d’un consentement écrit préalable pour partager les données des clients et la protection des données à caractère personnel. Il s’agit aussi du rôle de Bank Al-Maghrib en tant qu’organe de supervision des activités de ces bureaux d’information, et du régime des sanctions disciplinaires et pénales.
Depuis la promulgation de cette loi, deux sociétés opèrent déjà : creditinfo et quantik.
En Tunisie : une idée ancienne :
L’idée de créer des sociétés d’information sur le crédit est posée depuis des années en Tunisie vu son importance pour la limitation des créances classées, ou améliorer le portefeuille client des banques et des institutions financières et développer l’inclusion financière. Cette idée était constamment décalée pour multiples raisons :
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L’absence d’investisseurs potentiels dans le secteur,
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La conviction de la sensibilité des données sur les clients, et la possibilité de les manipuler,
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L’existence d’un système informel d’échange d’informations sur les clients entre les différents opérateurs de la sphère financières et monétaires,
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Plusieurs opérateurs militent pour un simple fichier national des clients des banques au niveau de la centrale des risques de la banque centrale.
Mais le développement du paysage bancaire et l’apparition de nouveaux opérateurs dans le sillage du développement des fintechs et des institutions de paiements, ainsi que le développement technologique, ont imposé cette réforme.
En Tunisie, certains acteurs du secteur financier ont lancé une première expérience en l’absence d’un cadre règlementaire, mais n’a pas aboutie jusqu’à présent. Ces mêmes acteurs, composés d’experts comptables, de professeurs universitaires et de certaines institutions financières, ont déposé une demande d’agrément auprès de la Banque Centrale pour être les premiers sur le marché, et leur dossier est depuis des mois en cours d’étude.
Avec un niveau de crédits accrochés de 12.6% en 2022, les banques tunisiennes ont intérêt à accélérer et à soutenir la création de ce genre de sociétés, car elles seront un atout majeur pour la gestion des risques et la stabilité financière et à la réduction des contentieux liés aux crédits. L’objectif étant d’améliorer la relation entre les prêteurs en général et les consommateurs. Les sociétés d’information sur le crédit sont aussi un élément essentiel pour faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises au financement puisqu’ils vont fournir une information viable, et une analyse objective de la situation des PME demandant des crédits.
Le gouvernement lui-même et à travers la Banque Centrale doit soutenir la création des Bureaux Crédit vu leurs importance dans le développement du climat des affaires et l’amélioration du classement de la Tunisie. Et pourtant….
Des exigences bloquantes et un cadre incomplet :
Le décret-loi n° 2022-02 du 4 janvier 2022, portant organisation de l’activité du renseignement de crédit a posé des conditions très restrictives afin de garantir la fiabilité de l’information ainsi que le bon usage dans le cadre du respect de la loi sur les données personnelles.
Ce cadre règlementaire était aussi très restrictif vu qu’il a imposé dans son article 10 que le capital minimum pour des sociétés d’information sur le crédit est de 3 millions de dinars. Un montant conséquent qui peut dissuader plusieurs investisseurs.
L’article 6 impose aussi l’obtention d’un autre agrément de l’instance sur la protection des données personnelles, ce qui est de nature à allonger les procédures administratives en ayant plusieurs interlocuteurs.
Le demandeur d’agrément doit aussi présenter des conventions signées avec les fournisseurs d’informations à savoir les banques, Les établissements financiers, les sociétés de recouvrement des créances, les commerçants s’adonnant aux ventes avec facilités de paiement, les institutions de microfinance, les compagnies d’assurance, les entreprises, les établissements et les administrations fournissant des prestations de services au public (STEG, SONEDE, TELECOM…), et toute autre société d’information sur le crédit agréée.
L’adhésion de tous ces opérateurs n’est pas aussi évidente, surtout pour les établissements publics.
Une circulaire de la Banque Centrale (cir n°2022-09 datant du 25/10/2022) a fixé les procédures de demande d’agrément pour l’exercice d’activité de renseignement de crédit, des documents et données devant être fournis. Selon l’article 8 du decret-loi de 2022, la BCT est appelée à prendre « La décision d’agrément est prise dans un délai de quatre mois à compter de la date de communication de tous les renseignements demandés ». En cas de refus la BCT n’est pas obligée de motiver sa décision, et le demandeur n’a pas aucun recours à faire.
La circulaire de la BCT du 25/10/2022 a aussi exigé des documents très sensibles qui doivent être présentés par le demandeur. En effet, il est obligé de fournir :
– la stratégie de développement de la société de renseignement de crédit à créer, le modèle d’affaires cible et les objectifs stratégiques avec une description des domaines d’activité et de la clientèle cible.
– L’étude de marché et de l’environnement économique et financier de la société de renseignement de crédit à créer et son positionnement cible sur le marché et les diverses lignes de métiers. – La politique commerciale reflétant les orientations stratégiques : services, clientèle cible, domaines d’activité et politique tarifaire.
– Une note sur la nature et l’étendue des risques auxquels la société de renseignement de crédit sera exposée (risques de réputation, risques juridiques, risques technologiques, risques opérationnels, risques cybernétiques…).
– La politique de financement de la société de renseignement de crédit: les principales sources et conditions de financement en termes de coût et de maturité.
Des rapports qui portent principalement sur le secret d’affaire et qui ne peuvent pas être divulgués à n’importe quelle instance.
Il est à noter aussi que la BCT n’a pas publié jusqu’à présent la circulaire fixant la liste des informations se rapportant aux informations sur le crédit. Pourtant la circulaire est l’un des axes de la stratégie national pour l’amélioration du climat des affaires, et le chainon manquant pour compléter le cadre règlementaire des bureaux d’information sur le crédit.
Pour résumer, il ne faut pas s’attendre à voir une société d’information sur le crédit dans le paysage financier tunisien en 2024 et même en 2025, vu la sensibilité de ces établissements et ce malgré leur importance. L’idée n’est pas acceptée par tout le monde, et certains voulant opérer dans le noir, s’opposent à ce genre de projets.
Le cadre règlementaire lui-même, et avant même son application doit être révisé pour intégrer plus de souplesse, surtout au niveau du capital à mobiliser, et fixer la BCT comme interlocuteur unique pour les investisseurs.
Abou farah