Le rêve d’une majorité des tunisiens est d’acquérir un logement et sortir du cycle de la location. Certains nomment le logement acquis « la dernière demeure », ou « le tombeau de la vie ». Depuis des années, ce rêve est devenu un véritable cauchemar, et un interminable calvaire. Plusieurs raisons expliquent cette situation, mais en face aucune politique publique sérieuse n’a été mise en œuvre. Même les quelques programmes instaurés au profit des ménages moyens n’ont pas prouvé leur efficacité. Pourtant des solutions plus efficaces existent…
Travailler 11.7 années pour acquérir un logement :
Les jeunes d’aujourd’hui, dont plus de 30% sont des chômeurs diplômés, ne pensent qu’à trouver un boulot digne et ensuite former un foyer sous un toit qui leur est propre. Or cette aspiration s’épuise au fil des années, et le désespoir gagne leur esprit. Les 18% des ménages tunisiens qui vivent actuellement en location, ont perdu espoir à avoir leur propre logement et sortir du calvaire des propriétaires et l’interminable déménagement. Les raisons de cette situation sont multiples :
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Hausse des taux d’intérêts et difficultés d’accès au financement bancaire,
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Hausse des prix des matières premières,
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Une taxation exorbitante des promoteurs immobiliers,
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Une rareté des terres constructibles et une hausse de leur prix.
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La baisse conséquente du pouvoir d’achat des ménages tunisiens, qui consacrent une grande partie de leurs revenus à d’autres rubriques tel que l’alimentation, l’éducation et la santé.
Les prix de l’immobilier en Tunisie ne cessent d’augmenter. La valeur moyenne d’un logement en Tunisie aujourd’hui est de 220.000 dinars, c’est-à-dire qu’un tunisien doit cumuler le fruit de son travail pendant 11.7 années pour pouvoir acquérir un logement.
Les chiffres officiels attestent que 74% des ménages tunisiens ont leur propre logement, un chiffre qui cache ceux qui détiennent deux à trois résidences.
Selon le « housing finance africa », si vous êtes un agent du maintien de l’ordre vivant dans une grande zone urbaine qui gagne 1 120 D par mois vous pourriez vous permettre d’acheter une maison de 50 048 D avec un emprunt hypothécaire d’une durée de 25 ans de remboursement.
Si vous êtes un enseignant vivant dans une grande zone urbaine qui gagne 2 300 D par mois vous pourriez vous permettre d’acheter une maison de 102 777 D avec un emprunt hypothécaire.
L’encours des crédits octroyés par les banques aux particuliers pour l’acquisition d’un logement stagnent depuis Février 2022, aux alentours de 12.7 milliards de dinars. Un encours qui traduit la baisse de la demande suite à l’augmentation des taux d’intérêt, la politique restrictive des banques pour cette catégorie de crédits, et la baisse de la capacité d’endettement des ménages tunisiens qui n’arrivent même pas à proposer leur autofinancement qui doit atteindre dans certains cas 30% du coût du logement. Cette situation est confirmée par les chiffres de l’INS qui attestent que le volume des transactions du premier trimestre 2024 a enregistré une baisse de 13,6% pour les terrains, de 6,9% pour les maisons et de 23,3% pour les appartements et ce par rapport au quatrième trimestre de l’année 2023.
Selon les mêmes chiffres publiés au mois de Septembre 2024, entre le premier trimestre 2024 et le dernier trimestre 2023, les prix de l’immobilier bâti ont augmenté de 3,5%. Par type d’actif bâti, cette augmentation résulte d’une hausse des prix des appartements de 3% et de 4,8% pour les maisons. Certes la hausse est moins forte que l’inflation, mais les prix pratiqués dans l’immobilier sont très important. Pour expliquer, une hausse de 10% dans l’alimentation est moins conséquente qu’une hausse de 1% dans l’immobilier.
La ventilation selon les régions montre que l’indice a diminué de 2,5% pour les transactions enregistrées sur le grand Tunis, contre une augmentation substantielle de 9,2% pour celles actées dans les autres régions.
L’augmentation des prix du bâti sur un an s’établit à 3,9%, impacté par une forte hausse des prix des maisons (+15,4%)
Les prix des terrains constructibles baissent de 3,4% en variation trimestrielle, mais augmentent de 4,9% sur une année pleine.
La crise touche de plein fouet le secteur de l’immobilier. Selon le site de l’agence « Mubaweb », au premier semestre 2024, le marché immobilier tunisien affiche une tendance contrastée. Les prix moyens des appartements neufs et anciens ont augmenté de 1% au premier semestre de 2024 par rapport au semestre précédent, tandis que l’offre totale a diminué de 15% et la demande a baissé de 9%. Les prix de l’immobilier neuf varient entre 2200 DT/m² à Borj Cédria et 5.100 DT/m² aux Jardins de Carthage et La Marsa.
Le simple fonctionnaire, même en joignant son salaire à celui de son conjoint, n’arrive pas à contracter un crédit pour l’achat d’un logement, et même un terrain dans une zone « populaire ». Plusieurs ménages, vivant dans la location, laisse chaque mois plus de 40% de leur revenu pour le loyer.
Ce constat de baisse affecte d’une manière frontale le secteur du bâtiment. Il faut savoir que l’investissement dans les logements atteint près de 3 milliards de dinars, soit près de 19% du total de l’investissement, et contribue à l’emploi pour près de 460.000 soit 13,5% de l’emploi total.
Le rêve d’une majorité des tunisiens, principalement les jeunes qui aspirent au mariage et la constitution d’un foyer, ont perdu espoir à avoir leur propre logement.
Des politiques publiques inefficaces :
Depuis l’indépendance l’Etat a mis en place plusieurs mécanismes et programmes pour faciliter l’accès des ménages à un logement. Le plus connu de ces outils, on site le FOPROLOS, initié depuis 1977, et qui a pour but de faciliter l’accès aux salariés à la propriété. Ces ressources proviennent d’un prélèvement de 1% sur les salaires des employés et des remboursements des prêts consentis sur le fonds. Il est géré par la BH Bank.
Il existe aussi le programme spécifique pour le logement social (PSLS) développé au profit des catégories sociales à faible revenu a pour objectif le remplacement des logements rudimentaires et la réalisation à leur profit de projets d’habitation.
La Loi de Finances 2022 a prévu une réduction de la pression fiscale sur les ventes de maisons construites par des promoteurs immobiliers et étend l’exonération des droits d’enregistrement à l’acquisition d’immeubles d’habitation financés en devises par des non-résidents.
L’un des programmes phares des dernières années est incontestablement celui du « premier logement », instauré depuis 2017. Mais ce programme n’a pas connu le succès prévu. En effet, sur les 6000 ménages prévus pouvant bénéficier de ce programme, seulement 2800 ménages ont bénéficié de ses avantages. La hausse du TMM y est la principale cause de cet échec.
Il y a quelques jours le ministère de l’équipement a annoncé en fanfare, l’activation du Fonds de garantie pour les crédits à l’’habitat au profit des catégories sociales à revenus irréguliers, pourtant ce fonds a été initié par un arrêté datant du 7 septembre 2018.Il n’est jamais tard pour bien faire.
Pour bénéficier des interventions de ce fonds:
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Le bénéficiaire et son conjoint n’ont pas le statut de salarié;
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Le bénéficiaire et son conjoint ne sont pas propriétaires d’un logement;
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La moyenne du revenu mensuel brut du bénéficiaire ne dépasse pas 10 fois le SMIG (actuellement à 4950 dinars).
Notons que les interventions du fonds couvrent les opérations de garantie des crédits à l’habitat accordés par les banques au titre de :
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L’acquisition d’un logement dont le prix ne dépasse pas les 150 mille dinars hors taxe sur la valeur ajoutée;
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La construction d’un logement dont le coût de sa construction ne dépasse pas les 100 mille dinars.
Aucune évaluation sérieuse de l’efficacité de ces politiques publiques n’a été faite. Les conditions restrictives, ainsi que la longueur des procédures administratives, sont les principales causes de l’échec de ces politiques.
Les différents gouvernements ont constamment adopté une stratégie classique se basant sur le soutien au consommateur final. Or il fallait coordonner ces stratégies avec le soutien aux promoteurs immobiliers, publics et privés, à l’amélioration de l’offre des terrains constructibles et l’amélioration de l’urbanisation.
Des solutions sont envisageables :
Au niveau des politiques publiques, une refonte totale des mécanismes actuels est nécessaire. Des idées sont à creuser à ce niveau tel que la réduction du niveau d’autofinancement pour les crédits FOPROLOS, ou la hausse de l’âge légale pour l’obtention d’un crédit à 70 ans puisque l’espérance de vie en Tunisie a atteint 77 ans, ou l’augmentation du délai de remboursement à 30 ans au lieu des 25 ans actuels.
Le gouvernement doit travailler à l’amélioration de l’offre des logements sociaux dont les demandes atteignent 230000 selon le ministère de l’équipement contre une offre annuelle de 2000 logements.
Une fiscalité plus avantageuse pour les promoteurs immobiliers contribuerait certainement à la baisse des prix et l’amélioration de l’investissement dans le secteur.
Abdellatif ben heddia